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Nouvelles du bord, jour 66: La "doublepensée"

George Orwell's et son roman contre-utopique 1984 sont connus pour de nombreuses raisons. Les voitures qui volent comme des hélicoptères, les gouvernements autoritaires, sa vision de l'usage excessif des drogues. Il a également inventé quelques termes dont la "doublepensée", indiquant une capacité à accepter simultanément deux points de vue opposés et ainsi mettre en veilleuse tout esprit critique. C'est un peu ce qui se passe dans ma tête en ce moment.


D'un côté j'ai vraiment hâte de passer le Cap Horn pour la 3e fois et de filer vers le Nord à nouveau, laisser derrière le froid, les icebergs qui flottent au dessus de la limite des glaces et de retrouver des climats tempérés, du soleil et finalement de la nourriture fraiche, la compagnie de mes proches. On est au jour 66 de la course et je rêve de ces choses là. Et pourtant... J'adore le grand sud. J'adore la puissance naturelle des vagues, la furie du vent même si elle peut être terrifiante. C'est un sentiment particulier de penser que l'on peut survivre dans ces latitudes uniquement grâce à l'expertise que l'on a emmagasinée, le travail et l'ingéniosité. J'aime mes sentinelles solitaires, les albatross, qui planent autour du bateau même quand je les voie du haut du mât en pleine galère. J'aime la pureté de l'air et le fait qu'il n'y ait pas d'odeurs. Je suis déjà impatient de revenir, nostalgique d'un endroit que je n'ai pas encore quitté. Même si j'ai passé beaucoup de temps à récupérer de mes dernières aventures, je sais que je peux donner beaucoup plus sur le plan sportif: mes 3 derniers passages dans ces eaux hostiles me permettront de revenir sprinter ici avec les leaders la prochaine fois. C'est donc en rêvant de la prochaine fois que je profite du moment, mes mains se réchauffant sur une tasse de café, en regardant la houle bleu ardoise, le ciel bleu clair et les nuages noirs menaçants. Ce mélange de ciel bleu et de nuages noir annonçant les prochaines rafales me laissent penser que la nature est un peu dans le même état d'esprit que moi, en train de "doublepenser". 500 milles jusqu'au Cap Horn.


Illustration par © François Denis

© François Denis




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