Nouvelles du bord, jour 104: retour du blog!
Cette expérience de démâtage a été tellement intense émotionnellement et un tel challenge que je peine à savoir par quel bout attaquer.
Pour commencer, il faut revenir 8 ans en arrière, en août 2008. C'était un été particulièrement chaud sur l'île de Wight où je participais à la Cowes Week, la plus grande régate de la saison avec plus de 1000 bateaux sur l'eau. Je naviguais sur un bateau de 52 pieds appartenant à la GBR Yacht racing academy et au lieu d'aller au bar avec mes équipiers le soir, j'allais travailler la nuit dans une voilerie.
Medina Sail Care (cette voilerie) est perchée au bord de l'eau et située au deuxième étage au-dessus d'un magasin de mécanique marine. Depuis toujours, elle est tenue par Gerry, un sympathique sud-africain, ami de tous dans cette petite communauté de Cowes, et habitué à prendre sous son aile des jeunes motivés pour apprendre les ficelles du métier.
Les clients, un peu rougis par les coups de soleil et légèrement ivres après avoir célébré leur victoire du jour, arrivaient un spi mouillé sous le bras. Plooof. La masse détrempée tombait au sol et l'inondait d'eau salée. "Est-ce que vous pouvez réparer ça pour demain matin?". On regardait alors les restes de ce qui avait été une voile à la fière allure. C'était toujours possible avec un rituel identique : rinçage à l'eau douce, séchage, nettoyage à l'acétone et collage des nouveaux tissus avec du double-face et enfin couture. Rien n'adhère sur une voile salée et mouillée.
Tout ça pour dire que pour fabriquer une nouvelle grand-voile pour mon gréement de fortune, un beau challenge m'attendait. Je n'avais pas accès à un plancher, ni à de l'eau douce, ni à des machines à coudre ni au coup de main d'un collègue! Parce que je ne pouvais pas fabriquer des coins renforcés qui auraient permis à ma voile de supporter les charges de navigation, il a fallu que je trouve dans les bouts de voile restants les éléments dont j'avais besoin.
En tournant la voile à 90 degrés, j'ai pu utiliser les renforts existants du ris 2 pour le haut et le bas de la voile contre la bôme et un autre renfort est devenu le point d'écoute. J'ai étalé le morceau de voile du mieux que j'ai pu, enlevé le sel avec des vêtements, et collé du double-face le long des coutures pour plus de sécurité. J'ai renforcé les zones par lesquelles la voile allait être attachée à la bôme. Ca a l'air simple mais ça m'a pris une journée entière. Comme les prévisions annoncent majoritairement du vent arrière ou de travers jusqu'aux Sables, j'ai consacré un peu plus de temps à la confection d'une corne pour le haut de la voile afin d'avoir un peu plus de surface de voilure. Je crois que c'est la seule voile à corne de l'histoire des gréements de fortune!
J'ai travaillé sur une surface tellement réduite que je n'ai pas eu l'occasion de voir la grand-voile en entier avant de la hisser! C'est aussi parce que j'ai décidé d'attacher la voile directement au mât au lieu d'utiliser une drisse pour la mettre en place. Ca a rajouté beaucoup de poids et compliqué la mise en place de la bôme à la verticale mais je ne risque pas d'avoir à prendre un ris dans les jours qui viennent!
En comparaison, la mise en place du tourmentin a été plutôt facile : dérouler la voile, changer le câble et hisser. Cela tombe vraiment bien que la classe IMOCA impose d'avoir à bord une si petite voile (19,5 m2). Je n'ai jamais vu cette voile utilisée en dehors des cas de démâtage!
Maintenant, il ne me reste plus qu'à arriver aux Sables avant de ressembler à un squelette! Je n'ai plus grand chose à manger hormis des soupes en sachet et des biscuits des rations de survie mais on en parlera une autre fois.